Découvrez le studio IA : créez des workflows intelligents et automatisez les tâches répétitives. En savoir plus

Coûts irrécupérables : un piège influençant nos décisions ?

Portrait du contributeur – Caeleigh MacNeilCaeleigh MacNeil
10 janvier 2024
9 min de lecture
facebookx-twitterlinkedin
Modèles

Résumé

Notre tendance à nous entêter sur un projet dont les coûts dépassent les bénéfices, mais dans lequel nous avons déjà investi de larges sommes d’argent, de nombreux efforts ou beaucoup de temps, porte un nom : le piège des coûts irrécupérables (en anglais, « the sunk cost fallacy »). En proie à cette manière de penser, nous prenons des décisions irrationnelles qui vont à l’encontre de nos intérêts, au risque de nous retrouver toujours plus dans l’impasse. Dans cet article, vous découvrirez comment éviter ce piège, pour votre bien et celui de votre équipe.

Le Concorde, un avion de ligne supersonique, a effectué son premier vol en janvier 1976, à la suite d’un investissement de 2,8 milliards de dollars de la part des gouvernements britannique et français. Par la suite et alors que son manque de rentabilité avait clairement été établi, les investisseurs ont pourtant continué à verser de l’argent dans ce projet en difficulté pendant encore 27 ans.

Cet incident a donné naissance à l’expression anglaise « Concorde fallacy », ou « l’erreur de jugement du Concorde », plus communément appelée le piège des coûts irrécupérables. Celle-ci désigne une situation dans laquelle une personne s’entête à poursuivre un projet battant de l’aile après un investissement conséquent.

Le piège des coûts irrécupérables

Lorsque nous nous acharnons sur un projet pour lequel nous avons fait beaucoup d’efforts, ou investi beaucoup d’argent ou de temps, mais dont les coûts dépassent les bénéfices, nous tombons dans ce que l’on appelle le piège des coûts irrécupérables (en anglais, « the sunk cost fallacy »). Bien que l’expression semble assez technique, elle fait référence à un piège classique qui survient lors d’une prise de décision, à la fois dans la vie privée et professionnelle. Elle peut tout aussi bien décrire des situations banales (comme s’obliger à regarder un film ennuyeux jusqu’au bout pour rentabiliser son achat) que plus sérieuses, par exemple le refus de mettre fin à un projet en difficulté dans lequel un investissement a été effectué. Cette théorie est à rapprocher de l’expression anglaise « throwing good money after bad », peu ou prou l’équivalent du mélange des deux expressions françaises « jeter l’argent par les fenêtres » et « donner de la confiture aux cochons ».

En proie à cette manière de penser, nous prenons des décisions irrationnelles qui vont à l’encontre de nos intérêts. Cette tendance étant fortement ancrée dans le comportement humain, il est important de comprendre son fonctionnement pour prendre les bonnes décisions en faisant preuve de logique, et éviter ainsi de se retrouver dans une voie sans issue.

Qu’entend-on par coûts irrécupérables ?

En économie, les « coûts irrécupérables » représentent les dépenses effectuées qui ne peuvent être recouvrées, autrement dit, les investissements non remboursables, tel que l’argent versé dans un projet ou le temps passé à entretenir une relation. Idéalement, lors de nos prises de décisions, nous ne devrions pas tenir compte des coûts irrécupérables, seulement des coûts estimés à venir et des objectifs commerciaux.

Tester la gestion de projet sur Asana

Un peu d’histoire

Le piège des coûts irrécupérables est un type de biais cognitif, une erreur dans notre manière de penser, qui entraîne une mauvaise interprétation de l’information et affecte nos prises de décisions. Les psychologues Amos Tversky et Daniel Kahneman sont les premiers à avoir mis le doigt sur l’idée du biais cognitif en 1972, posant ainsi les bases de la recherche en matière de théorie des coûts irrécupérables. En 2002, D. Kahneman s’est vu attribuer le prix Nobel pour son travail sur les biais cognitifs affectant la prise de décision en entreprise, parmi lesquels se trouvait cette théorie.

Au fil des ans, les scientifiques et économistes spécialistes du comportement ont essayé de comprendre les mécanismes déclencheurs du piège des coûts irrécupérables. Richard Thaler a été le premier à évoquer ce dernier et en a conclu que nous avons tendance à mieux utiliser un bien ou un service dans lequel nous avons investi des fonds. Plus tard, les scientifiques Hal Arkes et Catherine Blumer ont développé les hypothèses de Thaler dans un article sur les coûts irrécupérables publié dans le journal « Organizational Behavior and Human Decision Processes », à l’occasion duquel ils ont mené une série d’expériences qui illustrait la psychologie des coûts irrécupérables en pratique, notamment leur influence sur nos décisions. Soyez-en sûr : cela nous affecte bien plus qu’il n’y paraît.

Par exemple, une étude a demandé aux participants d’imaginer qu’ils avaient accidentellement réservé deux voyages au ski le même week-end, le premier dans le Michigan pour 100 $ et le deuxième dans le Wisconsin pour 50 $. Les chercheurs ont indiqué aux participants que le voyage du Wisconsin leur plairait davantage, et pourtant, cela n’a pas empêché la plupart d’opter pour le Michigan. Après réflexion, ils ont en effet préféré choisir le voyage leur demandant l’investissement initial le plus élevé, tout en sachant qu’ils l’apprécieraient moins que l’autre.

Piège des coûts irrécupérables et psychologie

Des chercheurs en économie comportementale ont identifié au moins cinq facteurs psychologiques nous poussant davantage à tomber dans le piège des coûts irrécupérables :

La peur de la perte

Notre aversion pour la perte s’explique par notre tendance naturelle à éviter à tout prix les pertes, puisque nous attachons inconsciemment davantage d’importance à la perte d’un objet qu’à son obtention. Par exemple, là où gagner 100 $ nous fait simplement plaisir, perdre 100 $ nous est difficilement supportable. Nous aurons d’ailleurs tendance à tout faire pour éviter de les perdre, quitte à sacrifier nos chances de gagner. Dans le cadre des coûts irrécupérables, c’est notamment cette peur de la perte qui nous incite à soutenir nos investissements pour éviter tout sentiment de mal-être relatif à celle-ci.

L’importance de l’image

L’importance que nous accordons à l’image nous incite à faire des choix selon s’ils nous mettent en valeur ou non. Cela contribue à nous pousser dans le piège des coûts irrécupérables, car en soutenant une décision, nous pouvons la présenter comme une réussite globale. À l’inverse, lorsque nous revenons sur une décision, celle-ci est le plus souvent perçue comme un échec, quand bien même une stratégie visant à limiter les pertes aurait été le meilleur choix. Imaginez par exemple que vous avez décidé de créer une campagne promotionnelle sur un blog. Après quelque temps, vous vous rendez compte que le trafic y est trop faible et qu’il serait préférable d’investir le budget restant dans de la publicité traditionnelle. Seul problème : vous verriez alors cette campagne de blog comme un échec. Vous décidez donc de poursuivre la campagne, tout en sachant pertinemment que votre argent serait mieux dépensé ailleurs.

L’optimisme irréaliste

L’optimisme irréaliste consiste à croire que nous avons moins de risques de vivre une expérience négative qu’un autre. Appliqué aux coûts irrécupérables, cet optimise démesuré nous pousse à surestimer nos chances de gagner et à sous-estimer la possibilité de faire face à des pertes, notamment à la suite d’un investissement. Par exemple, si vous investissez des milliers d’euros dans une nouvelle entreprise, vous serez facilement convaincu de son succès, peu importe s’il existe des preuves du contraire.

Le sens de la responsabilité personnelle

Vous vous sentez responsable de vos dépenses passées ? Dans ce cas, vous courez davantage le risque d’être en proie au piège des coûts irrécupérables. Autrement dit, il est beaucoup plus simple de revenir sur la décision d’un autre que de mettre fin à un projet dans lequel vous vous êtes personnellement investi. Les créateurs de projet, les décideurs et toute autre personne ayant un intérêt direct dans la réussite du projet sont donc plus sensibles à ce type de piège.

La peur d’être vu comme un gaspilleur

Les décideurs ont tendance à poursuivre leurs investissements infructueux pour ne pas avoir l’impression d’avoir perdu leur argent. Par exemple, imaginez que vous avez acheté un ticket de cinéma, mais qu’au bout de 30 minutes, vous vous rendez compte que vous n’appréciez absolument pas le film. Vous allez cependant rester jusqu’à la fin pour deux raisons : déjà, vous ne souhaitez pas que les autres spectateurs pensent que vous avez gaspillé votre argent ; ensuite, cette idée vous met vous-même mal à l’aise. Le même phénomène survient dans d’autres situations, notamment lorsque vous continuez à utiliser un logiciel que vous avez acheté, mais qui se révèle inefficace pour votre équipe : vous le gardez, car vous ne voulez pas perdre votre investissement.

Exemples de coûts irrécupérables

Un coût irrécupérable représente un investissement impossible à récupérer. En voici quelques exemples, qui vous permettront d’identifier les situations dans lesquelles vous pourriez tomber dans ce piège.

Les coûts irrécupérables peuvent inclure :

  • Les coûts relatifs à une opportunité, notamment le temps investi qui aurait pu être utilisé pour des tâches plus productives

  • L’effort, tel que celui requis pour des tâches particulièrement exigeantes

  • La tension mentale, telle que les inquiétudes ressenties

  • Les installations et les frais généraux

  • Le matériel et les équipements

  • Les investissements, par exemple l’achat d’une entreprise

  • Les abonnements annuels

  • Les coûts non remboursables, comme les frais juridiques ou les campagnes publicitaires

Tomber dans ce piège est-il si grave ?

Pour faire court : oui. En laissant les coûts irrécupérables influencer nos décisions, nous effectuons souvent les mauvais choix et en subissons les conséquences. Au lieu de faire preuve de logique, nous sommes alors en proie à un cercle vicieux qui s’accompagne généralement d’une implication accrue : nous continuons à consacrer du temps, de l’argent et de l’énergie à ce projet, même si cela va à l’encontre de nos intérêts. Plus nous investissons, plus nous sommes impliqués et plus nous affectons de ressources à ce projet pourtant issu d’une mauvaise décision initiale.

Comment éviter le piège des coûts irrécupérables ?

Rassurez-vous, vous n’êtes pas systématiquement voué à tomber dans ce piège ! Les stratégies qui suivent vous permettront de prendre des décisions rationnelles fondées sur la logique et non sur des biais cognitifs.

Soyez vigilant

Le simple fait de reconnaître l’existence de ce type de piège vous aidera à éviter d’y céder. Après avoir lu tout ce que nous avons expliqué jusqu’ici, vous savez déjà comment éviter de prendre des décisions irrationnelles. En effet, maintenant que vous connaissez le principe de ce piège, ainsi que les facteurs psychologiques qui y participent, vous pouvez faire preuve d’un maximum de vigilance dans vos prises de décisions et ainsi vous protéger de l’influence de ces biais cognitifs.

Pour y parvenir, posez-vous les questions suivantes :

  • Qu’ai-je peur de perdre ? En quoi cette peur est-elle un frein ?

  • Quels sont les critères d’échec et de réussite définis pour ce projet ? Sont-ils cohérents ?

  • Concrètement, quelles sont mes chances de réussite ?

  • Quelle serait ma réaction si cet investissement avait été réalisé par quelqu’un d’autre ? Quel conseil donnerais-je à un ami dans ma situation ?

  • Ai-je peur de passer pour un gaspilleur, auprès des autres ou de moi-même ? Cette peur est-elle rationnelle ? 

Basez vos décisions sur des données concrètes

Le piège des coûts irrécupérables défie toute logique. Pour lutter contre cette manière de penser, il est donc conseillé d’avoir recours à la logique, en recueillant les données nécessaires à votre processus de prise de décision.

Voici plusieurs moyens d’axer vos décisions sur des données réelles :

Donnez-vous des objectifs avant d’investir

Avant d’investir des ressources dans un nouveau projet, identifiez les indicateurs clés de réussite que vous souhaitez utiliser. Définir des objectifs mesurables en amont vous permet de savoir à quoi vous consacrer précisément, mais aussi d’évaluer votre réussite. Et si votre projet n’atteint pas ses objectifs, vous avez de quoi justifier un changement d’approche ou non, données à l’appui.

Pour définir vos objectifs, vous avez le choix entre plusieurs structures, notamment les objectifs et résultats clés (OKR) et les objectifs SMART. Ces méthodes reposent sur la même idée : définir des objectifs spécifiques et mesurables, qui seront autant d’outils concrets qui vous aideront à juger de la réussite de votre projet.

Imaginez par exemple que vous travaillez sur un projet qui vise à obtenir davantage d’inscriptions pour un produit, ce à l’aide d’annonces payantes. Pour y parvenir, vous définissez un objectif à 30 % d’inscriptions supplémentaires dans les six mois. Mais à la fin de cette période, vous avez à peine atteint 10 % d’inscriptions en plus et le montant dépensé dans les publicités dépasse les recettes obtenues grâce aux nouvelles inscriptions. L’objectif concret que vous aviez défini est alors une preuve tangible pour clôturer ce projet. Au lieu de tomber dans le piège des coûts irrécupérables, vous pouvez donc tenter une nouvelle approche.

Suivez les indicateurs clés de performance (KPI)

Un indicateur clé de performance est un outil de mesure quantitative qui vous permet de suivre la progression de votre projet, équipe ou structure au regard de vos objectifs. Définir des KPI en amont d’un projet vous donne un moyen concret de mesurer sa réussite. Vous avez ainsi les données nécessaires au moment de décider s’il faut mettre fin ou non au projet, et pouvez faire votre choix en vous basant sur ses performances actuelles et non sur votre investissement passé. Vous pouvez par exemple suivre le taux d’attrition client, la satisfaction client ou encore le nombre total de clients payants pour juger de la performance d’un nouveau produit.

[À lire] Prise de décision axée sur les données : le guide du débutant

Créez une matrice de décision

En faisant appel à une matrice de décision, vous aurez plus de facilité à faire le meilleur choix entre plusieurs options. Cet outil est particulièrement utile lorsque plusieurs options similaires s’offrent à vous et que vous devez intégrer plusieurs facteurs à votre prise de décision finale. La matrice vous permet par exemple de déterminer le meilleur outil de gestion RH pour votre entreprise : est-ce l’actuel ou plutôt l’une des deux alternatives ? Pour chaque option, vous devez prendre en compte trois facteurs, que sont le coût, le service client et les avis clients. Vous attribuerez ensuite un score à chacune des options, en fonction de la note et du coefficient de pondération de chaque facteur.

Dans la situation présente, créer une matrice de décision vous permet d’évaluer les coûts et bénéfices réels de chaque option, et ainsi d’éviter de tomber dans le piège des coûts irrécupérables en ne poursuivant pas dans votre voie initiale, c’est-à-dire celle où vous avez investi du temps et de l’argent.

Déterminez à quelle fréquence faire le point sur votre stratégie

Il n’est pas toujours évident de se rendre compte que nous sommes tombés dans le piège, notamment et surtout en l’absence d’une évaluation régulière des performances du projet concerné. Un projet en difficulté peut en effet perdurer pendant des mois, voire des années, si vous ne revoyez jamais votre approche. Au contraire, si vous faites régulièrement le point et prévoyez la création de rapports d’avancement pour analyser votre stratégie, vous n’oublierez pas de réévaluer votre réussite sur ce projet. Lors de ces bilans, vous pourrez ainsi décider s’il est préférable de poursuivre sur la même voie ou bien de changer de direction.

Si vous avez défini des objectifs et des KPI pour votre projet, vous avez déjà un moyen de vérifier le bon fonctionnement de votre stratégie. Pour éviter de les oublier, prévoyez de faire le point sur votre avancement à intervalle régulier, par exemple à la fin de chaque semaine, mois ou trimestre, en fonction du calendrier de projet.

Un bon moyen de simplifier ce processus consiste à adopter un outil de gestion de projet. Par exemple, lorsque vous créez des objectifs sur Asana, vous pouvez leur attribuer une échéance et créer des rappels automatiques vous invitant à mettre à jour sa progression. Il est aussi possible de partager les mises à jour d’avancement avec les parties prenantes pour que tout le monde soit informé et sur la même longueur d’onde.

Définir et atteindre ses objectifs avec Asana

Ne coulez pas avec le bateau !

Le fait d’avoir investi des coûts irrécupérables dans un projet ne vous oblige pas à couler avec le navire. Ne soyez pas votre pire ennemi ! Inspirez-vous des stratégies ci-dessus pour faire table rase du passé et prendre les meilleures décisions pour votre équipe. En apprenant à bien vous connaître, vous deviendrez la pièce maîtresse de votre équipe et pourrez la mener à la réussite.

Ressources associées

Article

Blues du dimanche soir : 12 méthodes pour lutter contre l’angoisse de la reprise